Non, chapitre 1: Lanzarote

On devait partir à Barcelone pour prendre un avion et on avait déjà sept heures de retard. On allait passer les vacances de Pâques à Lanzarote chez le père de Tarik qu’il n’a pas vu depuis 30 ans. À l’époque, il était recherché par Interpol parce qu’il faisait du trafic de haschich à Ibiza alors il a pris la fuite sur un voilier pour aller se cacher au Brésil. Après, il est venu s’installer à Lanzarote avec un nouveau nom, une nouvelle femme et des nouveaux enfants. D’abord on s’est dit qu’on pouvait y aller en voiture pour profiter du voyage en s’arrêtant à gauche à droite. Mais on s’est rendu compte qu’il fallait 58 heures de conduite non-stop. Une moyenne de 7 heures par jour pendant 16 jours. On s’est dit que c’était pas très réaliste. Et il y a 15 jours de vacances à Pâques. En plus, il fallait prendre un ferry qui coûtait 1200 euros de Barcelone à Lanzarote. On aurait pu changer les plans et y aller pendant les vacances d’été pour profiter du voyage en s’arrêtant à gauche à droite mais on avait déjà dit au père de Tarik qu’on venait et on avait la flemme de changer les plans et on savait que si on annulait on allait jamais y aller. On a regardé les billets d’avion depuis Genève, mais on s’est dit que c’était pas un très bon modèle éducatif pour nos enfants. Alors s’est dit qu’on allait prendre la voiture jusqu’à Barcelone pour profiter du voyage et prendre un avion depuis Barcelone jusqu’à Lanzarote. Le ferry c’était quand même trop cher.

Non, chapitre 1: Giulio

On devait finir de rénover notre maison. On avait 6 mois de retard sur notre planning. Mais on a décidé de prendre des vacances. On est parti sur une île en Italie.

Non, chapitre 1: Ibiza

Je voulais vite prendre la voiture pour aller acheter un pique-nique chez Denner avant notre départ à Ibiza. On avait déjà une demi-journée de retard et on avait rendez-vous avec un type de la commune à Santa Gertrudis. C’est là que la mère de Tarik est enterrée. Elle est morte d’une overdose il y a 30 ans pendant que le père de Tarik était en fuite au Brésil. Tarik avait démonté le moteur de la voiture pour pouvoir utiliser de l’huile de friture usagée plutôt que du diesel. Et il devait encore filtrer 150 litres d’huile de friture usagée. Il avait regardé un tutoriel de «Roule ma frite», c’est une association française qui veut rouler avec de l’huile de friture usagée parce que c’est gratuit. Tarik retrouvait plus le tutoriel en ligne de «Roule ma frite», qui dans l’intervalle avait été interdit par la loi et il se rappelait plus comment créer un système de préchauffage de l’huile de friture usagée avant la chambre de combustion. J’ai sauté sur mon vélo. De toute façon, entre le vélo et la voiture, ça faisait pas une grande différence. Chez Denner, il restait 2 sandwichs végétarien et deux roastbeef. J’ai pris les roastbeef. C’est pas un très bon modèle éducatif de prendre les sandwichs au roastbeef et en plus, notre fille est végétarienne, mais les
sandwichs végétariens sont vraiment pas bons. Quand on était enfin prêt à partir, on s’est rendu compte qu’on avait vidé la batterie parce qu’on avait oublié d’éteindre les phares. Alors on a dû appeler le TCS parce qu’on retrouvait pas les câbles de pontage.

Non, scénario pour une exposition

On va éteindre les lumières. L’exposition pourrait s’appeler «Black Out». On va mettre juste une lampe dehors, dans le jardin, qui va éclairer l’espace intérieur. Il y aura des ombres projetées dans l’espace d’exposition et les pièces seront installées seulement dans les zones éclairées.

Non, les pièces seront installées seulement dans les zones d’ombre. La lampe extérieure sera alimentée en se branchant sur un éclairage public que nous devrons trouver aux alentours. L’exposition pourrait s’appeler «Free Electricity». Au mur il y aura des plaques offset qui traînent dans notre jardin. Sur les plaques, on va embosser une fleur. L’embossage, c’est Tarik qui donne des coups de marteau en écoutant Britney Spears dans son nouveau casque antibruit, une espèce d’impression en relief.

Non, on va embosser motif d’un «Flurry». C’est un screensaver. Un économiseur d’écran. C’est des programmes qui évitent aux vieux écrans à tubes cathodiques de faire un «burn in». Une image fixe qui finit par s’imprimer de manière irréversible. Sur notre iMac, il y a un «Flurry», c’est comme un générateur automatique de fleur. Aujourd’hui les écrans ne sont plus faits en tubes cathodiques et les screensavers consomment autant d’électricité qu’un écran allumé. Le seul moyen d’économiser l’écran et l’électricité consommée par l’écran est d’éteindre l’écran.

Lorsque Apple à intégré le «Flurry» à son système d’exploitation, cette fleur tentaculaire est immédiatement devenue l’image de marque des ordinateurs pour personnes créatives. Après les heures de bureau, lorsque la nuit tombe sur les open space de la nouvelle économie, on reconnaît immédiatement les humains assignés aux tâches «créatives», grâce au halo lumineux de leur «Flurry» naviguant sur des écrans à jamais allumés.

En 1989 Berkeley Systems a développé le software «After Dark», dans lequel se trouvait le «Flying Toast», le plus grand succès commercial pour un screensaver, des petits toasts et grille-pains volant sur «La chevauchée des Walkyries» de Richard Wagner. «La chevauchée des Walkyries» c’est aussi l’hymne de la Luftwaffe, mais c’est aussi la musique du film «Le Grand Bleu» et de «American Pie».

L’exposition pourrait s’appeler «After Dark». Il pourrait y avoir un sous-titre: «Le toaster voulait sauver le vieux pain mais le pain toast a détruit le pain.»

Non, «Le toaster voulait sauver le pain mais le pain toast a détruit le pain.»

Non, pas de sous-titre

Non, les plaques offset «Flurry» ne seront pas au mur, elles seront par terre. Ça sera des bassines et elles seront remplis d’huile. On va faire des bougies à l’huile.

On va revitaliser le bois mort qui traîne dans les forêts du Jura en le trempant dans de l’huile de friture usagée. Et on l’allumera pour éclairer l’espace.

C’est le père adoptif de Tarik qui est menuisier qui nous avait expliqué pourquoi les arbres du Jura mouraient tous. Il nous a dit qu’à l’époque, ils avaient décidé de favoriser l’épicéa dans les forêts suisses, parce que c’était le bois qui se vendait le plus cher. A l’époque il y avait beaucoup de pin blanc, plus résistant, mais qui rapportait moins. Il nous a dit qu’aujourd’hui tout le monde s’en fout de l’épicéa parce que tout le monde achète du bois en Pologne qui est beaucoup moins cher que le bois suisse. Le problème c’est que l’épicéa ne supporte pas bien le réchauffement climatique, il se fragilise et les bostryches l’attaquent. Et le père de Tarik a ajouté «quand le bostryche est là on peut plus rien faire.» Et il a encore ajouté «et le bois attaqué par le bostryche on peut plus rien en faire, le bois mort il est tellement mort qu’on peut même pas le brûler parce qu’il fait aucune chaleur.» Il nous a dit qu’on s’en foutait aujourd’hui parce que le bois à brûler il venait de Pologne, mais que c’était quand même embêtant parce que toutes les forêts allaient disparaître. Aujourd’hui, ils cherchent une nouvelle essence qui va résister au réchauffement climatique, comme le pin blanc par exemple.

Non, scénario pour un film

C’est une histoire vraie.

Le titre pourrait être «Rammed Earth».

En 2019 à Ibiza, James Gilbert Kwarteng a escroqué le géant de la vente en ligne Amazon. Il remplissait avec de la terre les emballages des produits électroniques qu’il avait commandés, s’assurant que le poids final corresponde à celui du produit acheté. Pour être plus rentable, Amazon préfère mettre aux ordures les retours clients. Amazon a remboursé à Mr Kwarteng pour 330000 euros de marchandises, sur une période de 3 ans. Le jeune espagnol à été condamné à 6 ans de prison pour organisation criminelle.

La même année, Jeff Bezos à dit à la presse qu’il voulait être le champion de la lutte contre le dérèglement climatique: «Nous voulons nous servir de notre influence et de notre taille pour montrer la voie.»

Non, scénario pour une exposition

L’exposition pourrait s’appeler «Amazon Rammed Earth».

Sur les murs, il y aura des fenêtres en briques. Avec des volets eux aussi en briques. On va utiliser les morceaux de murs qui traînent dans notre jardin. On a cassé beaucoup de murs, pour avoir plus de lumière et on a tout mis dans le jardin. On projettera sur les fenêtres des films de nos road trips avec nos enfants. On posera les beamers sur des cartons qui traînent dans notre atelier, remplis de terre qui traîne dans notre jardin.

On demandera à Louis Schild qui fait les flyers d’utiliser les restes d’encre et les restes de papiers qui traînent dans son atelier. La couleur ressemblera à une espèce de gris, brun, noir. Ça sera une matière, comme de la boue. On va les encadrer et on les mettra dans le bureau de Marie Christine. Elle m’avait dit qu’elle aimerait bien avoir des pièces dans son bureau.

Non, on mettra des Flurry, dans son bureau.

Ce texte sera dans l’obscurité donc personne ne le lira. On devra sûrement enlever la moitié des pièces après le vernissage, mais les gens ne viennent qu’au vernissage. Le lendemain, dans la lumière, il n’y aura plus que ce texte. Non, le lendemain, dans la lumière, il n’y aura plus que ce texte. Mais personne ne le lira parce que les gens ne viennent qu’au vernissage.

L’exposition pourrait s’appeler «Émotions Carbone».

Non, «After Dark», c’est plus safe.